mercredi 13 février 2013

Faut-il sauver le soldat Jbeli ?

Désavoué par son propre parti « Ennahdha », timidement soutenu par une opposition, certes, secouée mais fortement déterminée après l’assassinat, lâche, du leader Chokri Belaid, le Chef du gouvernement provisoire tunisien joue un combat politique des plus serrés. Le dernier, peut être…


Son annonce fulgurante, en toute âme et conscience, mercredi dernier, de former un gouvernement composé de technocrates apolitiques a pris à contre-pied toute la classe politique. Le moment s’y prêtait, a soutenu M. Hamadi Jbeli et son initiative se veut, surtout, une réponse salvatrice à une situation cruellement délicate que traverse le pays, désormais, en plein désarroi.
En tant que chef, effectif, de l’exécutif, le secrétaire général du parti au pouvoir a voulu faire valoir son esprit patriote et assumer la responsabilité d’un échec, inavoué, de son gouvernement.
Sa décision, se défend-il, est mûrement réfléchie et est prise après moult concertations d’anciens politiciens et de sources sécuritaires… Son souci de l’intérêt national mis au-dessus des intérêts partisans, affirme-t-il, l’a guidé dans ce choix. Bref, M. Jbeli semble prendre de la hauteur, comme par enchantement, en endossant un nouveau rôle celui du père protecteur de la patrie…
Médusés, les partis politiques, ont, d’abord, à l’unanimité, salué « l’acte de bravoure » d’un vrai Homme d’Etat mais rapidement, comme pour se rattraper, des « il est allé trop loin » ou « c’est tard et pas assez » fusent de tous bords… dévoilant des intérêts politiques aussi divergents que  contradictoires…
Les plus opposés à cette initiative sont, ironie du sort, ses propres partisans, du moins, les organes dirigeants de son parti !!! Le refus de cette initiative lui est clairement signifié. Pis encore, il est officialisé par le Conseil de la « Choura »…
Le parti « Ennahdha » ou « le grand frère » selon les dernières dires de M. Rached Ghannouchi, embarrassé et hanté par le spectre d’une division interne et surtout par la perte d’un pouvoir acquis non sans mal… et auquel il s’agrippe bec et ongles, élabore une stratégie, sujette aux aléas des positions politiques prises tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur, pour contrecarrer l’initiative de M. Jbeli.
C’est ainsi que, rapidement, des éléments de langage bien rôdés sont mis en place. On multiplie les interventions et on tient ce même discours qui épargne le Chef du gouvernement de toute attaque verbale, qui ne tarit pas d’éloges son courage et son action envers le pays et qui ne parle pas de faute politique mais d’erreur d’appréciation... Seulement, on lui fait comprendre, que son « courage » ne doit pas aller à l’encontre de « la légitimité des urnes » et que cette phase transitoire est politique par excellence…
La base d’Ennahdha et celle des mouvances convergentes sont sollicitées et mobilisées à la hâte pour défendre la légitimité… du gouvernement et de l’assemblée nationale constituante …, menacés, paraît-il, mais il semble que cette marée humaine, tant attendue, n’a pas déferlé  à l’avenue Bourguiba…
Mais, au vu de l’accélération des événements et craignant son isolement politique, Ennahdha, joue la carte de l’apaisement en proposant, par la voix de son président, un gouvernement de coalition nationale !!! Mais avec quel programme ? Avec quels partis ?  A qui seront attribués les ministères régaliens ? Qui sera le nouveau Chef du gouvernement ? Plusieurs points d’ombre subsistent pour considérer cette offre comme un plan de sortie de crise … un vrai …
Quant à l’opposition, elle est sortie, une fois encore, divisée. Et, si une partie d’entre elle, le pensant sincère, accorde à M. Jbeli toute sa confiance, une autre frange de l’opposition, plus sceptique, rejette l’initiative de fond en comble et propose un congrès de salut national et la formation d’un gouvernement de crise… la seule voie susceptible de réaliser les objectifs de la révolution !! D’autres voix avancent l’idée d’un stratagème machiavélique diaboliquement monté par Ennahdha pour détourner l’attention de l’opinion publique et desserrer l’étau qui l’étouffe après l’assassinat, sans scrupules, du militant Chokri Belaid. Bref, ce n’est qu’un simple écran de fumée qui ne peut piéger que les plus crédules!!!
Et pendant ce temps, à la recherche d’un consensus aussi large que possible, condition sine qua none pour sa survie politique, M. Jbeli concerte les partis politiques, sollicite leur adhésion à son entreprise et s’entoure d’un Conseil de Sages composé de seize personnalités nationales dont le rôle semble évident. Sa détermination dans la ligne qu’il a fixée est, apparemment, inébranlable …
Loin d’être isolé, comme le prédisaient et souhaitaient ses détracteurs, M. Hamadi Jbeli gagne des appuis de poids. C’est ainsi que la puissante centrale syndicale, l’UGTT, soutient, sous conditions, son initiative ainsi que l’un des membres de la troïka, le parti Ettakatol mais aussi des organisations professionnelles et des associations de la société civile. Et, d’autres « conquêtes », encore, sont en vue…
Devant ces rebondissements, le parti islamiste essaie d’éviter tout affrontement. Mais la marge des manœuvres se rétrécit comme une peau de chagrin et les alternatives semblent se réduire soit à la démission de M. Jbeli, soit à la sortie, non glorieuse, d’Ennahdha du gouvernement !!! 
 Jbeli est-il allé trop loin ? Ce bras de fer engagé l’épargnerait-il des foudres de son propre parti ? Son désengagement de la feuille de route tracée par les hautes instances d’Ennahdha lui serait-il fatal ? La hache de guerre serait-elle déterrée ? Faut-il sauver le soldat Jbeli ?
En attendant que cette guéguerre entre les « colombes » et les « faucons » d’Ennahdha ne livre son verdict, des vautours et des hyènes, des charognards gèlent leur position et attendent, au portillon de Montplaisir, le partage du gâteau… du grand gâteau…