Bien malgré elle, l'armée nationale s'est trouvée, ces derniers jours, dans la tourmente d'une actualité incontestablement chaude et terriblement désolante.
Les déclarations fracassantes de l'ex-ministre de l'intérieur, M. Rajhi, ont ébranlé tout l'appareil militaire et ont terni l'aura sous laquelle il flottait depuis l'avènement de la révolution de la dignité.
Les accusations de M. Rajhi, sombres et dangereuses dans leur contenu et non orthodoxes dans leur forme, ont eu, immédiatement, l'effet d'une bombe à fragmentation. Les réactions ne se font pas attendre reflétant un état général de suspicion, de vives tensions et une prédisposition manifeste à tout croire même le plus invraisemblable.
Et même, le volte-face de "Mr Propre", des heures après la diffusion des vidéos de l'interview sur les réseaux sociaux, n'a pas détendu une situation "fatalement" crispée.
Tout le monde s'y mêle. Les enjeux sont de taille et la mise à nu de la "vérité" et de ses acteurs attire la foule, crée le "buzz" et fait bouger les lignes ... Que le spectacle commence !!!
Inéluctablement, le "jeune premier" et le plus "touché" est le général de corps d'armée, chef d'Etat-major des armées et chef d'Etat major de l'armée de terre, M. Rachid Ammar. L'image de "L'homme qui a refusé de tirer sur le peuple" est entachée. Il est soupçonné de préparer un coup d'Etat militaire en cas de réussite des islamistes aux élections du 24 juillet et d'avoir rencontré le président déchu à Qatar. Des accusations graves, certes, qui ont déboulonné une "icône" de la révolution de son piédestal. Désormais, le Général est sur la sellette et les rumeurs les plus folles à son encontre pullulent la toile et asphyxient une atmosphère déjà nauséabonde.
Sur cet air de complot se faufilant, les forces armées, par le biais du Ministère de la Défense Nationale, émettent un communiqué dont la teneur est directe et sans équivoque.
Elles soulignent, d'abord, que " ces propos tendancieux ne doivent nullement être pris à la légère et qu'ils représentent un danger d'une extrême gravité pour la révolution du peuple tunisien et pour la sécurité du pays, au présent et à l'avenir".
Elles n'accordent, ensuite, aucune spontanéité à ces propos qu'elles qualifient de prémédités et "nécessitent un examen approfondi de leurs sous-entendus et visées", une action qui relève uniquement de la compétence de la justice qui prendra son cours normal dans le cadre de son indépendance totale, "afin que l'on puisse distinguer le vrai du faux et qu'aucune partie ne puisse se jouer, à l'avenir, de la sécurité du pays ou contourner les principes de la glorieuse révolution".
Et, rappellent, enfin, l'abnégation et la détermination de l'armée "à poursuivre l'accomplissement de son devoir en vue de préserver le régime républicain et la révolution de la jeunesse tunisienne". Ce communiqué a, déjà, le "mérite" d'être le premier d’une série à venir !!!
Cette démarche ferme du Ministère de la Défense Nationale montera en puissance au fil des jours et prendra d'autres formes. La censure, en prime, mais pour ne pas éveiller les "ammar" qui somment dans le pays, on préfère utiliser le verbe "filtrer" !!
C'est ainsi que quatre pages web, au moins, ont été censurées par l'Agence Tunisienne d'Internet (ATI), en application d'une réquisition émanant du juge d'instruction auprès du tribunal militaire permanent de Tunis.
Les raisons évoquées sont la diffusion " de séquences vidéo, de commentaires et articles fallacieux dans le but de porter atteinte à l'institution militaire et à ses hauts cadres, à la confiance du citoyen à l'égard de l'armée nationale et à semer la confusion et le désordre dans le pays".
Une autre "prise" de notre armée nationale, dont nous nous contentons de relater les faits sans plus, est le déferrement devant la justice militaire du président déchu, de son ancien ministre de l'intérieur et d'un haut cadre de la sécurité. Cette décision a été adoptée "conformément aux règles de la compétence d'attribution", précise le communiqué du ministère de la Justice daté du 11 mai 2011.
Mais là où le bât blesse c'est ce bras de fer qui est, en train, de s'engager, par communiqués interposés et non seulement, entre le Ministère de la Défense Nationale et l'Association des Magistrats Tunisiens (AMT) sur le cas du juge Farhat Rajhi mais appelons ceci, en termes de polémique : L'affaire "Rajhi".
C'est ainsi que dans un communiqué daté du 9 mai 2011, le bureau exécutif de l'Association des magistrats tunisiens (AMT), a appelé le gouvernement provisoire "à suspendre les procédures visant à lever l'immunité judiciaire du Juge Farhat Rajhi et à revenir sur son intention de le poursuivre pénalement, l'objectif étant d'éviter la dégradation de la situation judiciaire et de la conjoncture générale dans le pays". Un rejet cinglant du Ministère de la Défense Nationale a été signifié, ce 13 mai 2011, au bureau exécutif de l'Association des magistrats tunisiens (AMT) en soulignant :" que personne n'est au-dessus de la loi, y compris les membres du corps judiciaire". Et d'ajouter, clairement, que "la réunion du Conseil supérieur de la magistrature est une question formelle, pour lever l'immunité judiciaire de Farhat Rajhi et ouvrir la voie aux autorités judiciaires ayant en charge le dossier, d'enquêter et de réaliser ses investigations en toute neutralité et indépendance dans le cadre du respect du régime républicain et de la révolution de la jeunesse tunisienne".
Quel "délit" reproche-t-on à M.Rajhi ? Une simple opinion ou des actes incriminés par la loi ? Les positions sont diamétralement opposées. Le différend est profond. Aussi, risque-t-il de dégénérer, à notre grand dam, à moins de trouver une issue réconciliatrice...
L'armée est-elle dans son rôle ? On a le droit de s'interroger.
Car, à l'heure où le pays, à l'aube d'une révolution inachevée, se cherche, s'impatiente et doute souvent, la théorie du complot s'amplifie et se propage.
Car, à l'heure où une situation explosive à nos frontières du sud, risque, à tout instant, de s'embraser.
Car, à cette heure, en ce moment, les tunisiens ont besoin de leur armée, responsable, intègre et républicaine.
Nous, tunisiens, d'une voix solennelle, appellons nos forces armées, notre première ligne de défense et notre dernier bastion contre nos ennemis, à rester au-dessus des mêlées politiciennes, loin des marionnettistes et à ne pas rompre le silence ...